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Bibliophagie
22 octobre 2008

Les sombres feux du passé

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Immigré depuis trente ans dans la petite ville de Bedley Run, le "docteur" Hata est un homme poli, accommodant, réservé et uniforme. Ce  célibataire, qui fut adopté très jeune, mène une vie irréprochable et routinière afin d’ être pleinement adopté par les habitants de la ville. Par ailleurs, lui-même a adopté Sunny, une petite coréenne.

Mais pourquoi Monsieur Hata se montre-t-il si protecteur envers sa fille? Pourquoi lui passe-t-il tout, au point que celle-ci se prend à le détester et à vouloir vivre dangereusement ?

Une amie de Franklin Hata met, incidemment, le doigt sur la plaie du célibataire :

"On dirait que tu lui es redevable, et ça, je ne parviens pas à le comprendre. Je n´en vois pas la raison. Tu l´as recueillie. Tu l´as adoptée. Mais tu agis comme un coupable, comme si c´était une créature à qui tu as fait du mal, autrefois, ou que tu as trahie..."

Petit à petit, cette phrase va permettre à Franklin de remonter le fil de sa vie jusqu’à un souvenir enfoui : alors qu'il était officier dans l'armée japonaise durant la guerre du Pacifique, cinq jeunes coréennes furent amenées dans leur campement pour servir de "femmes de réconfort". Amoureux de l'une d'elles, Hata voulut lui épargner un viol collectif mais, par une crânerie qui n’était que l’envers de sa lâcheté, il précipita la mort odieuse de cette toute jeune fille.

Depuis ce moment, Franklin Hata est un homme détruit et ne parvient plus à vivre qu’en masquant sa honte et sa culpabilité sous une armure de bienséance dépassionnée..

Commentaire

On ne peut dire que le héros de ce roman soit un être bien sympathique : servile à force de complaisance, effrayé devant tout ce qui menace sa surface policée, se voulant sans états d’âme, cet homme n’inspirerait que le rejet s’il n’était, justement, travaillé par les sombres feux d’un passé abominable qui ont tout dévasté en lui, ruinant toute espérance, toute accession au bonheur, tout amour possible chez cet homme profondément solitaire, triste et même, sans qu’il le sache, désespéré.

Mais le passé jamais ne lâche sa proie, et quand sa noire lueur éclaire à nouveau la mémoire de monsieur Hata, ce dernier accomplit un geste hautement symbolique :il met, accidentellement, le feu à sa belle maison cossue pour, après que celle-ci est remise à neuf, la quitter, tout quitter, renonçant ainsi à sa belle posture (« A Gesture life » titre l’ouvrage original), à sa fausse réussite, et il part, seul, « sous un pavillon noir », vers l’inconnu....

On a souvent comparé le docteur Hata au narrateur des « Vestiges du jour » d'Ishiguro. Et c’est un fait que ces deux personnages se ressemblent en ce sens que tous deux sont bardés de conventions et s’évertuent à revêtir une apparence lisse, que tous deux passent ainsi à côté de leur vie, de l’amour et des autres, mais si on imagine Stevens revenir sagement à ses offices, Franklin Hata décide de vivre désormais autrement...

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Commentaires
S
Merci Sybilline et Dourva'ch pour votre générosité! Je regrette de vous avoir fait faux bond pendant une si longue période..<br /> <br /> Je vais réparer cette erreur!
D
Je viens de chez ton amie Sourifleur où j'ai laissé ce commentaire :<br /> <br /> " ... je viens de chez notre Amie Sybilline qui a créé spécialement ce "lien" à ton article... Bravo à toi, chère Sourifleur, pour cette présentation et cet avis enthousiaste sur ce livre unique... et il faut qu'Hamnessa le lise ! La force de l'ouvrage est presque indescriptible... les phrases courtes... la recréation d'un monde disparu... rue par rue... le quartier devenu souricière... un témoignage irremplaçable et le travail d'un survivant à la fois "miraculé" et opiniâtre devenu ce TRES grand écrivain d'un seul livre ! Les photos du capitaine Hosenfeldt sont très parlantes... son humanité rejoint celle de Wladyslaw Szpilman... survivre et faire survivre son humanité dans un monde devenu enfer aux mains de psychopathes temporairement "maîtres du monde"...<br /> <br /> Le film de Roman Polanski est très chargé, lui aussi, une exceptionnelle réussite à la hauteur de cet ouvrage inoubliable !<br /> <br /> Amitié & bises. "<br /> <br /> ... et à toi aussi, chère Sybilline, pour ta gentillesse et cette générosité de tes recherches et création de "liens"... au vrai sens du terme !
S
@ Dourvac'h : L'écriture est fort belle, oui, je pense qu'elle ne te décevras pas... Qua,t au beau livre de Spilzman, tu en trouveras un excellent compte-rendu chez Sourifleur qui me l'a fait connaître, plus particulièrement ici : <br /> http://sourifleur.canalblog.com/archives/temoignages/index.html
D
Sujets passionnants que la culpabilité et la recherche (parfois obscure) de "réparation"... Le style de l'auteur et une traduction élégante sont-ils à la hauteur de l'enjeu ? Merci de nous donner envie de lire cet ouvrage, chère Sybilline !<br /> <br /> PS : comme j'aimerais un papier (inoubliable) de ta part sur le livre-météore si poignant de SPILZMAN ! Un très beau et doux w.-e. à toi !
N
Je commence à apprécier les auteurs asiatiques contemporains pour leur façon de raconter des tranches de vie. Ils savent mettre le mot juste. Merci Sybilline pour cette belle découverte ;-D
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