Effroyables jardins
Le narrateur de ce récit se souvient qu’enfant, il éprouvait une honte douloureuse à voir son père, un honorable instituteur, se produire comme clown lors des fêtes publiques, un clown pitoyable et raté qui accomplissait cette mission comme une pénitence.
Parallèlement, il se souvient du mépris qu’il ressentait envers le cousin Gaston et sa femme, Nicole, ces éternels tourtereaux ne souscrivant pas aux standards de beauté modernes.
Jusqu’au soir où, après avoir vu un film particulièrement émouvant, le cousin Gaston prend l’enfant à part et lui relate la provenance de ce rôle de clown : Lors de la dernière guerre, le père et Gaston, jeunes résistants écervelés, firent exploser un transfo utilisé par les allemands. Pris alors, par le plus grand des hasards, comme otages avec deux autres hommes et jetés au fond d’un trou en vue d’être exécutés si les coupables ne se dénoncent pas, ils sont surveillés par un soldat qui, pour les soulager, les amuse de ses talents de clown, leur procure clandestinement à manger et s’excuse d’être du côté du mal.
Quelques jours plus tard, les quatre hommes seront libérés : En effet, une femme, Nicole, a dénoncé son mari mourant comme le fauteur du sabotage...
Commentaire
L’écriture de Michel Quint procède d’un parler imagé non dénué de trouvailles mais dont l’apparente naïveté est, me semble-t-il, dangereuse en ce sens qu’elle innocente et efface le scandale de certaines actions et comportements : Est-il correct de présenter le père et son cousin comme d’authentiques héros alors qu’ils refusent de se dénoncer afin d’épargner la mort à leurs deux compagnons d’infortune (même si, après leur libération, ils deviendront de fervents résistants) ? Est-il moral de parler, au sujet de Nicole, de courage alors qu’elle donne son mari aux allemands (même si ce mari, face aux allemands venus le chercher, donne son accord) ?
Que ces questions ne fassent, justement, pas question pour l’auteur, qu’elles soient ramenées à des évidences inquestionnables me choque et me blesse.
Toutefois une partie de cette réponse, et de ce jugement, traverse incidemment, secrètement presque, ce roman pour s'éclore en cette phrase où la culpabilité du père perce le rideau :
« Mon père était le plus triste des clowns tristes. Du moins en avais-je I' impression. Et qu'il se faisait mal exprès, se punissait d 'une inavouable faute en se rendant si malheureux. »