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Bibliophagie
5 avril 2009

Les intermittences de la mort

9782757811627

Avec le  ton sentencieux d’un ironiste chevronné, José Saramago s’empoigne une fois de plus aux préjugés et aux rêves absurdes des hommes pour les battre en une retraite pitoyable.

Dans ce dernier roman, c’est à la grande utopie tellement actuelle malgré les signes d’une destruction planétaire galopante soutenue par une politique de l’autruche, à ce grand rêve donc d’une vie prolongée jusqu’à son ultime qu’est l’éternité que s’en prend la verve critique de l’auteur.

Ah vous souhaitez l’immortalité se gausse l’écrivain, eh bien soyons donc réalistes et voyons un peu ce que cela donnerait !

Le tableau produit par l’absence de mort, ici confiné aux limites d’un pays et conçu par une intelligence affûtée et un bon sens qui s’aiguise mieux encore de s’affronter à l’absurde, a tout de la catastrophe et d’une problématique dont l’infini rejoint en proportion l’éternel de ces vies humaines.

A titre d’illustration révélatrice et du style de l’auteur- où l’absence de ponctuation ne gêne ni la fluidité du texte, ni son caractère jubilatoire- et du type de problème que soulève l’immortalité des hommes, voici un extrait un peu long mais qui ne peut se lire que d’une traite :

Le problème le plus épineux, et nous nous sentons obligés d'attirer sur lui l'attention de qui de droit, c'est que, avec le passage du temps, non seulement il y aura de plus en plus de pensionnaires âgés dans les foyers du crépuscule heureux, mais aussi il faudra de plus en plus de personnel pour s'en occuper, le résultat étant que le rhomboèdre des âges sera rapidement cul par-dessus tête, avec une masse gigantesque de vieillards au sommet, une masse toujours croissante, engloutissante comme un python les nouvelles générations, lesquelles, transformées à leur tour en personnel administratif et d'assistance dans les foyers du crépuscule heureux, après avoir gaspillé leurs meilleures années à soigner des vioques de tous les âges, d'un âge normal à un âge mathusalémien, des multitudes de pères, grands-pères, arrière-grands-pères, arrière-arrière-grands-pères, arrière-arrière-arrière-grands- pères, arrière-arrière-arrière-arrière-grands-pères, et ainsi de suite, ad infinitum, les uns après les autres, comme feuilles se détachant des arbres et tombant sur les feuilles des automnes précédents, mais où sont les neiges d'antan, ils rejoindront la fourmilière interminable de ceux qui peu à peu passent leur vie à perdre leurs dents et leurs cheveux, les légions de ceux qui voient et entendent mal, ont des hernies, des catarrhes chroniques, se sont cassé le col du fémur, les paraplégiques, les cachectiques désormais immortels et incapables d'essuyer la bave qui leur coule du menton,

excellences, messieurs qui nous gouvernez, vous ne nous croyez peut-être pas, mais ce qui nous tombe sur le paletot est le pire des cauchemars qu'un être humain ait jamais pu rêver [….]

Mais un beau jour, la mort décide de reprendre du service.

Le récit, ou plutôt la fable, prend dès lors une tournure beaucoup plus fantasque puisque la mort qui avait un moment suspendu son vol, revient à la vie – si l’on peut dire- en s’incarnant en un être féminin. Je me suis demandé quel était le sens de cette personnification de la mort, assez absurde à première vue, et je n’en ai perçu qu’un seul parmi une pléthore d’autres sens obscurs.

Ce sens est celui-ci : renverser la formule consacrée et considérée comme une vérité inquestionnable  selon laquelle l’amour et la mort sont étroitement liées. Le génie de Saramago s’emploie ici à démontrer qu’au contraire elles sont incompatibles et que la vérité se trouve davantage du côté de cette formule antique énonçant « l’amour est plus fort que la mort »

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Commentaires
L
Encore un auteur que je ne connais pas, mais bien tentant...
D
MERCI de ta réponse et de ton ouverture d'esprit (ch' suis si intolérant...)... oui, je comprends mais tout d' même, cet homme pense bien peu à ceux qui vont le lire... et sans doute désespérer en raison de ce regard si peu empathique et si auto-complaisant dans cette description d'un "mal-vieillisement" vécu comme une déshumanisation... ! Ne vaut-il pas mieux s'occuper autrement de sa dépression masquée (par un travail psychothérapique, la prise de médicaments antidepresseurs) plutôt qu'écrire autour de son pathos intime... ? Et je n'aime guère ce manque de pudeur, cet exhibitionnisme-là en Littérature comme ailleurs... Bises et pardonne-moi, encore, mon Amie ! Gracq, Ramuz et Vesaas, artistes vieillissants, ne se seraient jamais abaissés à "ça"...
S
Certes non, je n'effacerai pas ton commentaire, Dourvac'h, parce que je comprends ton point de vue, mais si tu lis ce roman, tu verras que Saramago, fort âgé lui-même (il écrit ce livre alors qu'il a 83 ans!) sublime sans doute(l'écriture est une des grandes sublimations) sa peur de vieillir mal, dépendant des autres et sa terreur d'être, malgré cela, forcé de vivre.
D
Chère Sybilline, je suis en complète opposition avec cet idéologie du mépris du "crépuscule" : c'est quand je lis : "après avoir gaspillé leurs meilleures années à soigner des vioques de tous les âges" (et autres perles de vulgarité dite "moderne") que j'ai, moi, froid ans le dos... <br /> <br /> Qu'un type comme José Saramago puisse devenir aujourd'hui "Prix nobel de Littérature" avec un tel mépris de l'humain et un style aussi plat et redondant... ne m'impressionne ni ne m'étonne plus... ça me renverse simplement l'âme !... C'est encore un peut-être encore un autre signe du crépuscule des civilisations... (son bouquin n'est qu' un symptôme parmi des milliers de livres aussi (li)vides... et je ne vois pas où est l'ironie : c'est un type qui sait faire son malin sur le dos de l'humanité réduite au rang d'objets encombrants et chosifiés (déshumanisés)... et je ne peux m'empêcher de faire un parallèle avec les "Bienveillantes" (?) dont la "branchouillitude" ou la "nouveauté" voulue était de parler du point de vue chosifiant d'un barbare ordinaire !<br /> <br /> Euh, pardon pour cette note discordante mais je me suis promis de ne plus faire cadeau du silence face à de tels "écrivants" même nobélisés... Brrr...<br /> <br /> Tu me pardonneras ?<br /> Bien sûr, efface ce commentaire s'il te semble inadapté ou "en trop" dans ton espace ! Je comprendrai...<br /> <br /> Bises à toi, chère Sybilline !
K
Un très bon souvenir de lecture, ainsi que "L'aveuglement"...
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