Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Bibliophagie
21 juin 2010

Une enfance gantoise

185127_0

Suzanne Lilar, née Ver­bist, fait partie de la moyenne bourgeoisie gantoise, sa famille parle français et tient en mépris le flamand parlé par les paysans et la classe populaire. Toutefois auprès de la servante Marie, elle goûte aux charmes du néerlandais : la langue des chansons, mais aussi celle qui « débouchait sur la philosophie: hij redeneert met zijn raison (il argumente avec sa raison) découvrait le déboîtement du cogito, voire le Je est un autre. Ou sur la poésie, laissant transparaître un fonds de sagesse populaire, transmise de génération en génération par de vieilles femmes un peu sorcières. Lorsque j'avais bien joué, Marie me disait: "Et maintenant, allez dormir comme un arbre." Tout en m'endormant, je me demandais si les arbres sommeillaient vraiment et je glissais sans le savoir dans une rêverie tout imprégnée déjà du profond sommeil du végétatif. »

Parallèlement, Suzanne enfant grandit au sein du couple de ses parents, couple qui, par excellence, témoignait de l’harmonie entre une mère toute d’amour et un père qui vouait un véritable culte à la beauté. Toute l’œuvre de Lilar manifestera l’empreinte de ce double héritage.

Ainsi prend corps pour l’auteur toute jeune encore cet enrichissement né de l’union des contraires. Et si dans la vie elle refuse l’affrontement et le choix d’un parti contre l’autre, elle puisera désormais son talent et son bonheur dans la quête de ces opposés.

En effet, c’est de cette captation de la lumière jaillissant de l’union des opposés, ou plutôt de leur écart, de leur entre-deux, que naissent ces moments merveilleux, ces épiphanies du quotidien auxquelles l’auteur ne cesse de prêter son attention. Car qu’est-ce l’inspiration sinon la fulgurance d’un rapprochement inédit où s’ouvre l’invisible, où le quotidien se transfigure en manifestation du divin ?

Commentaire

L’écriture de Suzanne Lilar est absolument merveilleuse,  sans sophistication aucune, sa phrase coule, enchante, saisit par sa beauté et son intelligence

Car cette dualité dans laquelle l’auteur a toujours cherché son ravissement est à présent devenue partie intégrante de sa personnalité et de son écriture : Ses émotions vibrent et se retiennent dans le même temps, son amour est un entrecroisement de passion et de réserve, et sa prose un chef d’œuvre de poésie phrasée, mais ces dualités ne sont pas simples mouvements de va et vient, elles ouvrent à une dimension indicible, elles laissent deviner quelque chose qui nous échappe irrésistiblement … C’est en cela que Lilar se démarque si profondément des autres auteurs : elle indique sans montrer et lève le voile sur ce qui ne peut apparaître

Pour conclure, je vous offre un petit extrait aux accents villonniens

"Il savait lui, le dommage irréparable et qu'il avait perdu I' enfant qu'il aimait. Une autre s'apprêtait à la remplacer qu'il aimerait aussi, mais qui avait rompu avec les enchantements de l'enfance et s'essayait à vivre avec des façons gourdes et pataudes de cygne hors de I' eau. Car nous mourons plusieurs fois et comme par saccades.  Où est la Françoise de dix ans qui, sur les pentes du Julier, chantait crânement :

Le ciel se colore

D'azur, de vermeil,

La plaine se dore

Des feux du soleil.

Où ta Miquette à tablier penchée sur ses cahiers d'écolière ? Quand nous ont-elles quittés ces gracieuses petites filles qui s'en sont allées sur la pointe des pieds et reposent maintenant comme de jeunes mortes dans I' herbier du souvenir?"

....

Suzanne Lilar

....

200px_SuzanneLilar

Suzanne Verbist nait le 21 mai 1901, à Gand. Après ses études de droit à l'Université de Gand, elle devient la première avocate inscrite au barreau d'Anvers. Elle divorce d'un premier mariage pour épouser Albert Lilar, en 1929.

Elle décède le 11 décembre 1992,

Publicité
Commentaires
4
Un merveilleux souvenir de lecture!
S
Je n'ai pas lu ce livre, que je trouve un peu trop "savant" à mon goût, mais ton billet est particulièrement bien écrit, Sybilline et je retrouve en toi, cet écrivain trop modeste qui mériterait sa place parmi les plus grands!
D
" Le ciel se colore <br /> D'azur, de vermeil, <br /> La plaine se dore <br /> Des feux du soleil. <br /> Où ta Miquette à tablier penchée sur ses cahiers d'écolière ? Quand nous ont-elles quittés ces gracieuses petites filles qui s'en sont allées sur la pointe des pieds et reposent maintenant comme de jeunes mortes dans l'herbier du souvenir ? "<br /> <br /> Je pense pour ma part beaucoup au Nerval de "Sylvie"... Julien Gracq évoquait à son propos les charmes et les lumières du "fané"...<br /> <br /> Effectivement, un style magique, les extraits que tu donnes incitent tous à cette découverte ! Au fait, connais-tu le "Pedigree" de Georges Simenon ? (Liège, l'enfance, la pluie)... Un autre livre magnifique...<br /> <br /> A bientôt, Sybilline !<br /> <br /> PS : un nouvel article t'attend sur http://www.fleuvlitterature.canalblog.com/
N
voilà un livre que j'aimerais lire, j'avais - il y a très longtemps - lu "le couple", mais j'ai un peu oublié !
M
Le passage que tu as sélectionné est très beau...
Bibliophagie
Publicité
Bibliophagie
Derniers commentaires
Publicité