Journal d'un crime
Saint-Pons, ancien avocat et homme vieillissant, a toujours vécu sans égards pour les autres et dans cette forme de lâcheté qui consiste à ériger le démon du doute en maître de sa vie.
Réfugié dans un tissu de convenances, sans amis ni famille, Saint-Pons ne devient pourtant conscient de ce vide et de cette lâcheté qu’un soir où, déambulant sans but ni raisons, il sauve un homme prêt à se jeter dans la Seine.
Cet homme, Elio, lui raconte alors comment, désargenté et démuni, il a sombré dans la désespérance lorsque sa femme l’a quitté. Saint-Pons s’engage dès lors à retrouver sa femme, à lui parler, à la convaincre de revenir. Il remet sa carte de visite à Elio, lui donne un billet pour s’offrir un repas et lui fait promettre de revenir le voir le lendemain.
C’est la police qui, retrouvant la carte de Saint-Pons, lui apprendra que deux heures après que les amis se sont séparés, Elio s’est suicidé.
Intrigué par ce geste que rien ne laissait plus soupçonner, Saint-Pons retrace le chemin parcouru par son ami après qu’ils se sont quittés. Recherche d’autant plus obstinée qu’il lui parait qu’en résolvant cette énigme c’est le propre sens de sa vie qui lui sera révélé.
Sa quête, désormais plus métaphysique que policière, le conduit pourtant à nouveau dans une impasse effrayante : En effet il apprend, au fil de son enquête, que l’ unique geste fraternel accompli au cours de sa vie égoïste , loin de soulager son ami, l’a précipité plus sûrement dans le désespoir., s’est comme inversé en une sorte de crime involontaire. Révolté contre ce hasard catastrophique et insensé, Saint-Pons y introduit, de force, un nom et une intention : Un Dieu malin tout pascalien dont il prétend n’avoir été, lui, Saint-Pons, que l’instrument. Un instrument qui à la fois accepte et refuse son sort….
Commentaire
La plume exceptionnelle de Charles Bertin nous fait pénétrer dans un récit surprenant, dérangeant parce qu’ à la fois étranger et très intimement familier : Ne sommes-nous pas tous, en effet, à certains moments de nos existences, enclins à refuser le malheur, la malchance, l’accident en tant que purs produits du hasard, et, parce qu’ils éveillent en nous révolte, sentiment d’injustice et incompréhension, ne leur créons-nous pas alors une adresse, une intention (Dieu, la société, les autres..) contre laquelle nous révolter, à accuser ?
Ne sommes-nous pas tous parfois des Saint-Pons qui n’échappons alors à la révolte stérile et haineuse qu’en reprenant sur nous-mêmes cette intention néfaste dite, pour l’occasion, inconsciente, qu’en reportant, du coup, l’accusation sur nous-mêmes ?