La maison paternelle
Dans une langue subtile, douce, et mélancolique, Maria Messina dépeint, en ces quatre courtes nouvelles, l’extinction lente et d’autant plus douloureuse qu’elle est lucide, de toute joie et de tout avenir chez ces quatre jeunes filles, ou jeunes femmes, dressées à la soumission au sein d’une famille désargentée où le père est un homme écrasé par le labeur ou malade, et où la mère, épuisée sous les charges, est une femme éteinte.
Tantôt vues comme un poids pour ces familles accablées de dettes, tantôt vues comme une aide indispensable, par leur travail rémunéré, aux soins parentaux, aux études des frères, aux apurements de dettes inextinguibles, ces jeunes femmes, au fil du temps et des ans, finissent par perdre jusqu’à l’espoir de se libérer et de s’épanouir.
Ces vies, tristes et détruites avant même de commencer, portent en elles la marque de l’auteur qui aurait connu le même sort que ses héroïnes si l’écriture ne lui avait, enfin, ouvert les portes de la liberté
« Elle avait toujours encouragé les autres ; Ies maigres repas lui apparaissaient comme de vrais festins et pendant six ans elle avait porté les mêmes vêtements avec autant de plaisir que s'ils avaient été neufs. Mais depuis quelque temps elle ne savait plus où puiser de nouvelles forces. Il y avait des jours où elle se sentait inquiète, bouleversée jusqu'à la souffrance. Lorsqu'elle se regardait dans un miroir, avant de sortir, des larmes d'amertume lui montaient aux yeux. Qu'étaient devenues la force et la sérénité de sa jeunesse? Celle-ci s 'évanouissait peu à peu, et avec elle la douceur de son regard, la plénitude de son corps, l ' éclat de son teint. Dans cette maison trop grande, trop froide, elle était parfois assaillie d'une sourde irritation contre les maladies de sa mère et l'éternelle tristesse de Maria. Elle sentait un grand vide autour d'elle , comme si elle avait perdu quelque chose de vital. Et quand elle était enfermée dans sa classe avec ses petites qui gazouillaient comme des mésanges entre deux leçons, elle était prise d 'un violent, d 'un insatiable désir de grand air, de ciel pur. »
Maria Messina
Née à Palerme, Sicile, en1887, Maria Messina publie son premier livre en 1909 et connaît avec ses nombreux romans et nouvelles un succès croissant, jusqu’à ce qu’une sclérose en plaques l’oblige à cesser peu à peu toute activité dans les années vingt. Elle meurt oubliée à Pistoia, sous les bombardements de 1944. « La vie sicilienne, telle qu’elle la dépeint, n’offre ni paysages grandioses ni drames sanglants. Elle est toute “ en la mineur ”. Ce sont des “ petits remous ” dans une eau marécageuse où, sans bruit, disparaissent des êtres qui n’ont même pas la force de se plaindre. » (Leonardo Sciascia).