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Bibliophagie
3 novembre 2009

Les demeurées

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Dans un petit village vit recluse celle que l'on nomme La Varienne, une femme qui n'ayant jamais pu accéder aux mots, demeure plongée dans les sensations, les intuitions, le toucher. Au coeur de cette vie repliée, un être, sa fille Luce, la chair de sa chair, a éveillé en elle un amour instinctif, animal : son corps est devenu rempart et bercement, ses gestes nourrissements...

Quand vient l'obligation scolaire sous la forme de madame Solange, l'institutrice, mère et fille ressentent le danger d'une séparation irrémédiable, pas seulement cette séparation où l'une est enfermée derrière la grille de l'école tandis que l'autre attend, mais aussi, mais surtout cette séparation que les mots induisent entre les êtres , entre les êtres et leurs sentiments.

La petite refuse donc les lettres, les mots, ces destructeurs de l'amour fusionnel. Elle les fuit dans le repli, dans la non écoute,dans la maladie, mais, insidieusement, ils la pénétrent, s'installent envers et contre sa volonté de refus . La petite ne sera plus une demeurée...

Voici un extrait qui a lieu alors que la petite Luce sombre dans la maladie

"La Varienne ne connaît pas de prières.

Quelque chose monte dans sa poitrine. Ses lèvres s'entrouvrent et c'est une plainte et c'est un chant qui emplit peu à peu la petite maison. Elle pleure sur la petite qui n' ouvre pas les yeux. Elle pleure à l'aide tous ceux qui peuvent entendre, du fond de leur sommeil ou du fond de leurs rêves.

La plainte de La Varienne monte.

On pourrait croire à un cri de bête, un feulement, s'il n'y avait comme une parole tout au fond de la plainte. Le nom de la petite.

Elle appelle. Elle appelle du lointain de cette force qui l'a faite mère, envers et contre tous, quand on disait au village, en baissant la voix ' " Il faut le faire passer...Comment voulez-vous qu'elle fasse avec...en plus ? " Elle avait défendu son corps. Elle avait gardé son trésor. Elle aurait pu tuer quiconque se serait approché.

L'enfant, c'est son enfant. La vie, c'est sa vie."

Commentaire

Avec une infinie douceur et cette poésie qui seule peut rejoindre le silence des mots, Jeanne Benameur nous prend délicatement par la main pour nous conduire au sein de l'extrême dénuement de cette femme tout à la fois dépourvue de cette protection animale qu'est la programmation, et démunie de cette membrane protectrice que constitue le langage.

Livrée sans défenses aux êtres et aux choses, ceux-ci lui sont donc une menace tant qu' ils n'ont pénétrés dans la sphère de son être, tant qu'ils ne sont devenus elle.

Ainsi cet amour total qui la lie à sa fille est-il une fusion à laquelle la petite Luce échappera, malgré elle, par la vertu des mots. A cet amour fusionnel l'enfant substituera un amour réel, celui qui se porte vers l'autre.

Ce petit roman, véritable merveille d' écriture, m'a permis de vibrer à l'unisson de ces êtres dits «demeurés » et m'a ainsi apporté un supplément d'humanité.

Pour cela, madame Benameur, soyez remerciée.

Jeanne Benameur

JeanneBenameur

Jeanne Benameur naît en 1952 en Algérie d'un père tunisien et d'une mère italienne. Elle quitte l'Algérie pour s'installer en France en 1958. Elle passe toute son enfance à La Rochelle. Dès que Jeanne commence à lire et à écrire, elle rédige des contes. A 14 ans, elle écrit une pièce de théâtre qu'elle produit avec des amis. Plus tard, elle devient professeur et a envie d'écrire pour ses élèves. Aujourd'hui, Jeanne Benameur vit à Paris et consacre l'essentiel de son temps à l'écriture : théâtre, roman, poésie, nouvelles

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Commentaires
I
J'ai eu un peu peur pendant les premières pages mais après j'ai adoré. Quelle atmosphère !!!
N
je me méfie toujours un peu des livres sur les relations mère-fille - je me sens plus proche en fait du livre de jacqueline harpmann, "la fille démantelée" - mais si l'écriture est belle, je vais noter ce livre-ci, quoique l'amour possessif d'une mère me flanque une trouille grave, je sens que je ne vais pas apprécier - j'ai trop bien vu quels sont les ravages d'une mère possessive
D
Quel beau thème que le repli sur un amour (mère-fille) aussi fusionnel... comment briser pour l'enfant cet enfermement ? Le style est lyrique, simple... la langue est fluide... et rappelle un peu celle de Carole Martinez pour "Le coeur cousu"...<br /> <br /> Ah, et je viens de terminer la lecture de "Jane Eyre" de Charlotte Brontë, que j'ai "vécu" comme un documentaire passionnant l'intériorité d'une jeune fille pauvre du XIXème siècle... et sa volonté de vivre pleinement ses sentiments ! Très beau livre, vraiment...<br /> <br /> Au fait, belle année à toi, Amie Sybilline, et pardonne mon apparente "négligence" passée... je passerai à nouveau régulièrement, et visterai tes articles de ces derniers mois... mon p'tit site à moi a été mis "en repos" un moment (et l'auteur s'y est mis aussi) : en ce moment, la jeune Sarah garde la boutique et vous accueillera en faisant son "travail" de sélection d'anciens articles encore quelques mois... pour votre bonheur, j'espère ! Alors je laisse faire la gamine...<br /> <br /> Bises & Amitié à toi !
C
J'ai trouvé beaucoup de sensibilité, beaucoup de justesse dans les romans de Jeanne Benameur. C'est un auteur qui sait me toucher avec ses histoires et la manière dont elle les raconte.
R
L'histoire semble intéressante. Auteur à découvrir.
Bibliophagie
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