Trois chevaux
Celui qui prend la parole en ce livre est un homme meurtri, ayant suivi son épouse aimée en Argentine, puis milité avec elle contre la dictature et le crime ; mais sa femme Dvora sera emmenée et exécutée par les militaires, tandis que lui échappera de peu à la rafle, fuira à travers le pays jusqu’à l’océan, vers l’Italie.
Alors s’éteint le premier cheval, puisque la vie dure le temps de vie de trois chevaux.
Cet homme qui a appris désormais à vivre en solitaire, sans besoins ni attaches, a gardé de ces années pénibles le sens de la solidarité, un immense respect des choses et des hommes, une gravité sans lourdeur.
Parvenu en Italie, il devient jardinier, plante des arbres, leur parle, travaille lentement ainsi que l’on prie. En communion avec le ciel, la terre et les éléments. Et lors de ses pauses, il lit.
Vient alors Selim l’africain, l’homme qui gagne son pain au gré des saisons, et à qui le narrateur offre les fleurs excédentaires du jardin afin qu’il puisse les vendre, Selim l’ami et le débiteur du jardinier. Vient Lâila, la femme qui offre son corps pour de l’argent, avec laquelle une relation amoureuse s’esquisse et qui, profondément éprise également, voudra quitter son métier. Mais une telle décision ne se réalise pas sans danger..
Et meurt alors le deuxième cheval...
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Commentaire
Ce livre se lit lentement, au rythme d’un jardinier soigneux de son ouvrage, il se savoure ainsi que Selim, l’ami, qui tourne et retourne un noyau d’olive dans sa bouche, il se médite, tant sa sobriété est, dans son dépouillement même, touché par la grâce.
L’écriture d’Erri de Luca est rude et âpre comme la joue d’un homme non rasé, profonde et exigeante comme la langue des anciens et des sages, poétique et belle comme un paysage vierge et dénudé.
Et l’histoire qui nous est ici proposée montre le visage d’un homme tendre et rude, aimant les êtres et profondément solitaire, exigeant envers lui-même et tolérant envers les autres, un homme que la souffrance a raboté jusqu’à l’épure, un homme d’une totale droiture et que rien, jamais, n’arrêtera dans sa lutte pour ceux qui sont en danger.
(Il me plait d’ imaginer que ce portrait est le reflet de l’auteur lui-même...)
« Quand il m'arrive de sentir que mon temps est peu de chose, je pense à celui qui s'écoule simultanément dans bien des endroits du monde et qui passe près du mien : ce sont des arbres qui chassent des pollens, des femmes qui attendent une rupture des eaux, un garçon qui étudie un vers de Dante, mille cloches de récréation qui sonnent dans toutes les écoles du monde, du vin qui fermente au soutirage, toutes choses qui arrivent au même moment et qui, alliant leur temps au mien, lui donnent de l'ampleur. »