La petite fille qui aimait trop les allumettes
Au début de l’histoire, le Père vient de se suicider et ses deux enfants d’environ une quinzaine d’années se retrouvent seuls, égarés sans leur créateur et maître. Car le Père a régné tel un Dieu fou sur ces deux enfants sans nom, il les a pétris dans sa loi aberrante et ses châtiments brutaux, dans la terreur, dans l’affamement, dans le confinement aux limites de son domaine.
Ces deux « fils », selon la nomination du Père, se sont forgé une conception du monde fondée sur les dires de ce Père torturé par sa folie et ses démons, ainsi que sur la lecture de quelques livres et dictionnaires disponibles en ce vaste domaine dévasté.
La nécessité de trouver un cercueil pour le défunt va obliger un des enfants à enfreindre l’interdit parental et à se rendre dans le village voisin où la rencontre avec d’autres humains fait transparaître, dans toute sa force et sa folie, l’imprégnation catastrophique du Père car là où les gens perçoivent une jeune fille aux comportements insensés, l’enfant se perçoit comme un fils confronté à des êtres menaçants et étranges.
Suite à l’apparition de l’enfant au village, un inspecteur des mines se rendra dans la demeure isolée, et y découvrira l’horreur absolue, innommable, faite à celle qui donne son titre au roman...
Commentaire
Ce livre prodigieux nous plonge d’emblée dans une enfance saccagée par un Père sombré dans un délire de douleur et de haine, de culpabilité et de mortification, et qui y entraine ses enfants, les y enferme, les y détruit.
Gaëtan Soucy laisse la parole, et la plume, à l’enfant-fille. Et c’est là qu’éclate pleinement l’immense génie d’un auteur capable de rendre son langage idoine à la schizophrénie de l’enfant « secrétarien » (écrivant l’histoire que l’on vient de lire), un langage qui mélange subtilement formules littéraires toutes faites et expressions novatrices, une langue traversée d’innombrables néologismes et de mots-objets, et, comme il s’avère finalement, une écriture qui est sa propre ruine et sa propre mort :
« Un mariole tomberait-il sur ce grimoire qu’il n’y pourrait d’ailleurs comprendre rien, car je n’écris qu’avec une seule lettre, la lettre l, en cursive ainsi que ça se nomme, et que j’enfile durant des feuillets et des feuillets, de caravelle en caravelle, sans m’arrêter. Car j’ai fini par faire comme mon frère, que voulez-vous, et adopter sa méthode de gribouillis, ça écrit plus vite comme ça, et c’est la vraie raison pour laquelle je ne peux pas moi-même me relire. Mais c’est égal, en alignant ces l cursifs, j’entends tous ces mots dans mon chapeau et ça me suffit »
Dans ce labyrinthe, fait de lumière et d’opacité, que l’enfant tisse, l’auteur utilise l’entre-ligne pour révéler ce que la parole de l’enfant ignore, pour exprimer ce qu’elle ne peut formuler, pour traduire ce qui lui est incompréhensible. Répons où Soucy, en ce premier livre où je le découvre, se dévoile dans son immense sensibilité et sa connaissance profonde des tourments de l’âme humaine.