Chez eux
1938. La petite Anna a six ans quand elle quitte la Pologne avec sa mère afin de rejoindre son père déjà réfugié en France. Anna ne comprend pas pourquoi la famille doit ainsi quitter son pays et sa ville aimée, pourquoi elle ne doit plus jamais mentionner son véritable nom. Mais dans ce nouveau pays, elle entend les injures lancées contre les Juifs et apprend alors le danger qui menace sa famille bientôt obligée de se disperser.
Anna est accueillie dans une ferme, chez des paysans rustres auprès desquels, loin de la vie douillette connue en Pologne, elle connaîtra les durs travaux, le froid et la faim, mais surtout l’absence totale de tendresse.
Chaque jour, se lever est pour elle une souffrance, un cri de solitude, mais chaque jour Anna serre les dents, ravale ses larmes et part aider à la ferme, puis s’en va à l’école où l’affection de son institutrice et la solidarité de ses petits camarades, découverte lors d’une perquisition nazie, lui permettront d’entrevoir le courage et la générosité muette de ceux qui l hébergent et la protègent de l’Horreur : « Elle regarde ces deux-là, le mari et la femme qui jamais ne se touchent, ces deux-là qui sont à cet instant tout ce qu’elle est sûre d’avoir encore, et elle sent s’agiter en elle une chose chaude et molle. »
Commentaire
Le roman de Carole Zalberg aborde la fureur nazie par une voie latérale : celle où elle gronde comme une menace, celle où elle suscite l’exil forcé d’une enfant plongée brutalement dans un univers auquel elle n’est pas préparée.
Avec son écriture où la poésie s’associe à une sensibilité toute en douceur, l’auteur nous émerveille et nous émeut tout à la fois, sans doute parce qu’elle parvient si bien à s’accorder à l’âme d’une enfant qui, au cœur du désespoir, peut cueillir un sourire, et se réjouir.
Dans ce roman , l’auteur rend hommage à tous ces hommes et ces femmes qui ont ouvert leur « chez eux » afin de donner refuge aux enfants juifs et leur éviter l'enfer. Elle rend également hommage à sa propre mère, cette petite Anna, à sa vaillance et à cette lumière qu’elle sut préserver en elle malgré l’adversité.
« Comme chaque jour à cette heure où elle n’a pas encore rassemblé tous ses moyens d’enfant vite grandie, elle gagne ce qu’elle peut de temps avant le couperet du lever. Tant qu’elle n’ouvre pas les yeux, tout est encore possible : qu’elle ne soit pas ici mais là où on l’aimait : que rien, jamais, ne soit venu dévaster cette insouciance où elle baignait.
Elle sait que c’est là une habitude dangereuse, une promenade au bord du vide. Mais elle en a besoin comme d’un air moins lourd, un air du grand large qui la grise juste assez pour qu’elle sache passer cette journée encore. »