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Bibliophagie
17 septembre 2008

Séfarade

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Séfarade est un terme qui dépasse ici largement son acception limitée à cette branche juive venue jadis se réfugier en Espagne. Séfarade désigne tous ces êtres  qui, d’un jour à l’autre, furent accusés et traqués, qui, dès lors, abandonnant leurs biens, leur profession et leur bonheur, durent s’enfuir comme des criminels et ne purent désormais plus compter que sur eux-mêmes et sur l’aide de quelques hommes justes pour survivre.   Séfarade enfin nous conduit, à travers ses 17 récits, sur ces routes d’exil et de persécution qu’empruntèrent tant d’hommes et de femmes arbitrairement proscrits, condamnés, pourchassés sans qu’ils n’aient pourtant commis aucun acte répréhensible, mais en vertu de l’horreur d’une idéologie ensauvagée.

Dix-sept récits bouleversants où Munoz-Molina  rend à la plénitude de leur  présence ces victimes de la fureur nazie que furent Primo Lévi, Milena Jesenska, Jean Améry ...;  ces condamnés par la folie du régime stalinien  : Heinz et Margarete Neumann, Willi Münzenberg... Mais aussi des personnes sans notoriété, des personnes qui pourraient être, demain, nous-mêmes : ce malade sur le point d’apprendre le nom de sa maladie qui l’exclura  d’entre les autres,  cette femme qui n’aspirait qu’à une vie paisible et que l’Histoire laissa brisée,  toutes ces destinées qu’un rien suffit pour qu’elles se sentent basculer dans le néant social...

Commentaire

Munoz-Molina relate ces vies « séfarade » avec une empathie bouleversante, une sensibilité toute en pudeur, une humanité dont les élans de tendresse se subliment en longues phrases nuancées (car la nuance est bien ce premier geste de respect envers l’autre) et dont le rythme, proprement envoûtant,  nous entraîne irrésistiblement dans le sillage de ces vies saccagées, mais d’autant plus admirables...

Mais mieux vaut sans doute laisser ici  Munoz-Molina parler, nous parler :

...

« Tu peux te réveiller à l'heure ingrate du petit matin, un jour de travail, et découvrir avec moins d'étonnement que de honte que tu t'es transformé en un gros insecte, tu peux entrer dans ton café habituel en croyant que rien n'est changé ni en toi ni dans le monde extérieur et découvrir dans le journal que tu n'es plus celui que tu croyais être et que tu n'es pas à l'abri de la persécution et de l'infamie. Tu peux arriver dans le cabinet du médecin en te croyant inaccessible à la mort, possesseur d'un temps de vie pratiquement illimité, et en ressortir une demi-heure plus tard en sachant que quelque chose t'éloigne et te sépare des autres, bien que personne ne puisse encore le remarquer sur ton visage, qu'à la différence de ceux-là qui se croient éternels  tu portes sur toi, en toi, au long de cette même rue par laquelle tu es arrivé avec tant d'insouciance, une ombre qu'eux ne voient pas et à laquelle ils ne pensent pas, même si elle rôde autour d'eux et les attend. »

« Tu es celui qui regarde sa normalité perdue depuis l'autre côté de la vitre qui I'en sépare, celui qui par les fentes entre les planches d'un wagon de déportés regarde les dernières maisons de la ville qu'il avait cru sienne, où jamais il ne reviendra. »

..

17octob3

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Commentaires
S
je le note!
S
Merci nanne, je le note!
N
Voilà un livre que j'ai dans ma LAL en priorité et qu'il faut que je me procure rapidement pour le lire, Sybilline ... Pour un roman sur Milena Jesenska, je ne saurais trop te conseiller celui de Margarete Büber Neumann "Milena".
S
@ Julien : Le livre dont tu parles doit être bouleversant, en effet! Je le chercherai.<br /> @ Arlette : Je pense que tu aimeras énormément ce livre riche et émouvant.
A
L'extrait choisi est bouleversant en particulier sur cet instant fragile où la vie peut basculer et te voici complétement à l'écart du monde!
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