La Porte
Si Magda Szabo éprouve tantôt la peur, tantôt la révolte face aux rudesses, aux susceptibilités, aux jugements tranchants et à la dictature d’Emerence, elle ressent également un grande admiration et une immense tendresse pour la vieille dame qui est l’incarnation même de la générosité absolue : « Il est vrai qu' Emerence n 'aimait pas n’ importe comment, elle aimait d’ une manière qu'elle aurait pu découvrir dans la Bible si toutefois elle en avait une, ou si à l'époque où elle allait à l'école on lui avait mieux fait connaître les apôtres. » De plus, la vieille dame possède un courage et une intelligence redoutables et s’est prise d’une affection exigeante envers Magda .
Emerence vit en recluse, interdisant à quiconque de franchir la Porte de sa maison, mais un jour, lors d’une occasion unique, elle invitera Magda à ouvrir cette Porte et à pénétrer son secret jalousement gardé.
Quelques temps plus tard, la vieille dame tombe malade, et Magda, par amour, par souci d’Emerence, commet l’impardonnable, comprenant trop tard ce qui maintenait son amie debout au milieu de sa vie dure et solitaire
Commentaire
Magda Szabo relate cette relation extraordinaire avec une admirable franchise : Humblement, elle reconnaît ses manquements dont sa jeunesse et les sollicitations de son métier d’écrivain sont les principaux responsables ; avec respect et admiration elle illustre le courage, la générosité et l’intransigeance d’Emerence, mais aussi, sans ménagements, elle raconte leurs disputes, les invectives violentes de la vieille dame qui suscitent en elle révolte et souffrance.
Nous entrons ainsi en plein cœur d’une relation tramée en clair obscur, en amour-haine, en violence-tendresse ; bref, en toutes ces contradictions qui sont le fond de notre humanité.
J’ai adoré ce roman poignant, intense, tout en émotions, avec son climat qui évoque les tragédies antiques tant le personnage d’Emerence en possède le tempérament et l’allure mais où cependant la tendresse et la bonté l’emportent toujours sur la violence.
Ce très beau livre est, enfin, une réflexion profonde sur la responsabilité dans laquelle l’Amitié nous engage et sur les limites de ce que nous avons le droit de faire pour le bien de l’autre
Un extrait :
« Je la suivis des yeux, cherchant pourquoi elle tenait à moi alors que j'étais si différente d'elle, je ne comprenais pas ce qu'elle aimait tant en moi. J'écrivais, j'étais encore jeune. Je n'avais pas analysé à fond à quel point l'affection est un sentiment illogique, mortel, imprévisible, et pourtant je connaissais la littérature grecque qui ne représentait rien d'autre que les passions, la mort, dont la hache étincelante est tenue par les mains enlacées de l'amour et de l’affection. »