Journal d'une femme de chambre
Celestine est une femme de chambre dans de riches maisons, successivement dans celle d’un couple méchant, d'une femme qui l'invite à déniaiser son fils, d'un maniaque fétichiste du pied et enfin, des Lanlaire, parvenus et avares de première classe... De toutes ces expériences, Célestine tire la conclusion: « Si infâmes que soient les canailles, ils ne le sont jamais autant que les honnêtes gens. »
La condition des domestiques est dénoncée par la chambrière, que le romancier dote d'une lucidité impitoyable : « On prétend qu'il n'y a plus d'esclavage... Ah ! voilà une bonne blague, par exemple... Et les domestiques, que sont-ils donc, sinon des esclaves ?... Esclaves de fait, avec tout ce que l'esclavage comporte de vileté morale, d'inévitable corruption, de révolte engendreuse de haines. »
Si tous les domestiques sont soumis à la surexploitation et à de perpétuelles humiliations, les femmes de chambre sont de surcroît traitées comme des travailleuses sexuelles à domicile.
Mais Mirbeau ne nourrit pour autant aucune illusion sur la gent domestique, presque toujours corrompue par ses maîtres : Célestine elle-même, malgré sa lucidité et son dégoût des moeurs vicieuses de ses maîtres, s’y complait et s’en nourrit. Devenue maîtresse à son tour, dans le petit café de Cherbourg où elle a suivi le jardinier-cocher Joseph, antisémite et sadique, enrichi par le vol audacieux de l'argenterie des Lanlaire, elle ne cessera d’ houspiller ses bonnes avec dureté...
Commentaire
En se plaçant dans l’esprit d’une femme de chambre, Octave Mirbeau s’en donne à cœur joie dans la critique d’une bourgeoisie bien pensante qui, sous les dehors de la plus stricte respectabilité morale, se livre au vice et à la luxure et qui, sous ses manières affectées, ne manifeste que bassesse, mesquinerie et rapacité.
Mais ce n’est pas tout. Non content de stigmatiser les bourgeois, Mirbeau donne la parole à Célestine pour mieux exhiber son immense mauvaise foi. Oui, la verve de la soubrette est savoureuse , mais la femme de chambre ne vaut guère mieux que les maîtres qu’elle méprise : menteuse, voleuse, volontiers méchante, elle se complait aux vices de ses employeurs et n’hésite pas à excuser et à protéger son ami le jardinier pourtant coupable du viol et du crime d’une enfant.
Impossible donc, de s’identifier à la porte-parole de l’ouvrage ni à l’un quelconque des personnages de ce roman. Grand démystificateur des moeurs humaines, Mirbeau nous impose d’établir la distanciation nécessaire à tout esprit critique...